Sophie Poirier rédactrice

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Les tribulations d'une préposée

22h30, je rentre du travail. Je suis exténuée.


L’eau qui se déverse délicatement sur ma peau est chaude et enveloppante, elle m’invite à m’autoriser un délicieux moment de détente. Les trois petites branches d’eucalyptus, que j’avais préalablement attachées au pommeau de douche, transpirent un délicieux effluve de bien-être. Je prends une profonde inspiration et c’est à ce moment que je me demande : suis-je à ma place ?


Je suis préposée aux bénéficiaires. J’aime prendre soin de mes résidents et j’aime savoir que je fais une différence dans leur vie. J’accompagne, chaque soir, plus d’une trentaine de résidents avec un dynamisme qu’ils n’ont plus et une débordante joie de vivre. Je les cajole sans retenue, ils manquent tellement de chaleur, je les complimente sans cesse, c’est si important qu’ils sachent qu’ils sont aimés, je blague avec eux et je les taquine, juste pour les voir sourire. Concrètement, mon rôle consiste à assister des personnes en manque d’autonomie dans leurs soins d’hygiène quotidiens. Je les aide, entre autres, à s’alimenter, à se laver et à procéder efficacement à leur routine du coucher.


Le plus beau dans ce métier c’est, à mon avis, le temps qui nous est alloué avec chacun des résidents. Comme la fois où je me suis assise sans compter les minutes avec madame Lapointe pour l’écouter me parler de sa passion : la broderie. Ou lorsque je suis restée plus longtemps que prévu dans la chambre de monsieur Calvin afin de le rassurer parce qu’il craignait d’être seul. Il y a cette fois aussi, où j’ai eu le temps d’offrir un bain relaxant à monsieur Michaud qui adore se prélasser dans l’eau chaude. Tous ces petits moments peuvent sembler anodins pour le commun des mortels, mais pour ces résidents, ils sont vraiment précieux.


La triste vérité


J'aurais bien aimé que ce soit vrai, mais je rêvassais la tête sous l’eau, le temps d’un court instant. La triste vérité c’est que nous n’avons pas une seconde à perdre. Entre les bains à donner, le lever des résidents post-sieste, assister à l’alimentation de certains résidents pour le souper, la routine du coucher (laver les dents, changer la culotte, enfiler le pyjama) et les cloches qui sonnent sans arrêt, nous avons une multitude de tâches connexes à accomplir. Entre autres, distribuer et ramasser les plateaux de nourriture au souper, préparer et distribuer les collations en soirée, faire le ménage de la cuisine, vider et descendre les poches souillées dans la salle froide, s’occuper de certains lavages lorsque c’est nécessaire, charger les chariots du matériel que nous avons utilisé lors de la routine du coucher, et remplir quelques documents essentiels à la fin de la soirée. Nous avons aussi, plus souvent qu'autrement, des résidents agressifs à gérer et d’autres à surveiller de près parce qu’ils chutent, parce qu’ils cherchent à se sauver ou parce qu’ils errent toute la soirée dans les couloirs de l’étage.


Il serait malheureusement utopique de croire que les conditions de vie des résidents ainsi que nos conditions de travail changeront en un claquement de doigts. Nous sommes en manque criant de personnel et les tâches sont trop lourdes et nombreuses pour espérer pouvoir passer du temps de qualité avec nos résidents. Ces derniers méritent mieux que des préposés en sueur qui exécutent leurs obligations en urgence afin de rentrer dans les temps.


J’ignore le fonctionnement des autres centres d’hébergement, mais à l’endroit où je travaille, la situation est critique. À l’interne, les dirigeants ne semblent pas être en mesure de comprendre la réalité des préposés. Pourtant, nous proposons des solutions réalistes et réalisables aux problématiques rencontrées, mais ils ne paraissent pas trop s'en préoccuper. Les équipes sont tendues, à bout de force et l’ambiance agréable n’est plus au rendez-vous. Une vocation disaient-ils ? Je suis d’accord, mais à quel prix ? Nous perdons, chaque mois, de précieux alliés. Malgré leur cœur en or et leur patience d’ange, nos guerriers nous quittent pour des emplois aux meilleures conditions ou abandonnent tout simplement le combat pour prendre soin de leur santé mentale.
 

23h, je sors de la douche. Je ne suis pas détendue.


J’enfile mon pyjama et je brosse mes dents machinalement. Je ne peux m’empêcher de penser à mes chers résidents qui n’ont pas eu la chance d’avoir une préposée 100% à leur écoute ce soir. Je me glisse sous les draps, mais je suis incapable de fermer les yeux. L'anxiété s'empare de moi et je me pose maintenant cette question : suis-je la seule à ne pas me sentir à ma place ?

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